Chapite10

Votre venue et vos débuts sur cette terre

 

 

19 heures le soir du 22 novembre 1923, au monde vous êtes venus, nu. Comme de Gaulle, personnage auquel vous vous référencez. Enfin, pour le jour, mais pas pour l'année ; et ce qui diffère également, c'est que vous n'êtes pas devenu général, non !

La soeur de papa mariée Jean Lebouc demeurait à moins de 200 mètres. Vous l'appeliez tante Titine. Plus loin vous allez en reparler.

Vous vous souveniez très bien lui avoir entendu dire que votre venue au monde avait été laborieuse pour votre maman.

Vous avez commencé par être l'aîné de quatre enfants. Après vous, sont en effet arrivés aux Aunais, la ferme familiale, René, en 1925, Marie, l'année suivante, et Solange, la petite dernière, en 1927.

 

Tout petit déjà, vous sembliez bien aimer prendre des risques et vous lancer à l'aventure. Un jour, vous êtes ainsi monté dans une échelle sans vous soucier du retour ; arrivé là-haut, comme la place était étroite, vous vous êtes soudain inquiété de la façon dont vous alliez redescendre. Tant et si bien que vous avez pris peur. La solution ne s'est pas faite attendre : vous êtes tombé en vous cassant un fémur. Vous aviez vingt-deux mois.

Vous avez encore en mémoire ce petit lit de fer sur lequel vous étiez couché. Un poids était attaché à votre jambe pour la maintenir bien allongée. Remise par un rebouteux et probablement lattée, la réparation avait été bien faite, car depuis vous ne vous êtes jamais rendu compte de la faiblesse de l'une ou de l'autre de vos jambes.

 

A cinq ans déjà, pour répartir la tâche équitablement entre vos parents, votre père vous emmenait parfois dans les champs. Cette fois, en vous amusant pendant qu'il travaillait la terre, vous vous êtes affalés sur le châssis d'un rouleau adossé à une haie. Vous tombâtes coincé à l'arrière de l'outil. Vous vous fîtes grand mal et aviez du sang partout sur la figure. L'employée de vos parents, Cécile Orhan, vous ramena à la maison, son mouchoir sur votre front. Vous aviez une belle entaille dont vous portez encore la trace.

Cécile avait pour mission d'aider votre mère dans votre éducation

Elle vous réprimandait s'il y avait lieu lorsque vos parents étaient partis à l'extérieur ou aux champs. Cet autre jour-là, elle vous interdit de placer une pièce de cinq centimes en bronze dans le trou de la serrure d'une armoire.

Cette manoeuvre aurait eu de toute évidence pour effet de bloquer la porte ! Mais Cécile n'avait pas le dos tourné que vous enfonciez la pièce sans attendre, dérogeant en toute conscience à l'interdiction… Si profondément enfoncée que vous ne pouviez plus la retirer ; la porte ne s'ouvrait plus. Cécile ne manqua pas de vous punir ; vous récoltâtes une bonne fessée que vous n'avez jamais oubliée… Avec recul et humour, vous vous demandez parfois si ce n'était pas vos débuts en mécanique, ou un nouveau système de placement financier que vous auriez inventé.

 

La ferme des Aunais se trouvait à deux cents mètres de la route nationale. Au bout du chemin, il y avait un village appelé La Muserie. Pour aller à l'école, il fallait y passer ; et votre oncle Jean Lebouc et votre tante Titine y habitaient. Deux retraités résidaient également sur le bord du chemin, dans la maison en arrivant sur la route nationale. Ils possédaient un coq de Barbarie qui vous courrait après à chaque fois que vous passiez devant chez eux ; vous en étiez venus à appréhender votre passage et tous les voisins connaissant cette histoire, vous l'aviez entendue raconter souvent depuis, à vos dépens…

Alors, un beau jour, vous avez voulu vous venger et vous avez pris votre courage à deux mains : dans la cour de la ferme, vous avez bravé les oies, le coq et ses poules jusqu'à vous emparer de l'une d'entre elles que vous avez ensuite cachée. Votre mère s'en est rendue compte ; elle s'est mise à la chercher, a fini par la trouver. Vous avez aussitôt pris une bonne raclée dont vous vous souvenez encore. La poule quant à elle n'en était pas revenue… elle était morte…

 

Bien qu'il n'y ait pas autrefois d'école maternelle, vous êtes allés à l'école primaire à La Gravelle. Depuis la ferme des Aunais, l'école n'était pas si loin. Le chemin représentait toutefois une marche de un kilomètre cinq cents environ, et vos parents ne vous accompagnaient pas car ce n'était pas la coutume. Sur la route nationale, vous croisiez quelques rares automobiles ; et comme cela était inhabituel pour vous, vous aviez peur et vous cachiez derrière les grands platanes bordant la voie. En y repensant aujourd'hui, vous vous voyiez comme un grand poltron, et cela vous amuse beaucoup

Selon vos souvenirs, vous n'êtes pas restés très longtemps à l'école, sûrement moins d'une année, de Pâques à la Toussaint, semble t-il. 

Vos parents aussi ne restèrent pas aux Aunais. De la Saint Georges à la Toussaint c'était Cécile qui avait pris soin de vous quatre.

 

Avant de s'en aller dans un autre lieu, votre mère avait voulu vous faire prendre en photo que voici. Vous vous en rappelez très bien surtout de la peau de mouton étendue sur une petite table

 

Vous voila fixés tous les quatre.

Vous vous souvenez du déménagement de toute la famille, des meubles, de tous les outils agricoles grâce à un acheminement de voitures hippomobiles. Dans certaines se trouvaient du matériel agricole, dans d'autres, le mobilier. Les tonneaux de la cave, sans oublier la cannelle ( Robinet en bois, enfoncé dans le bas du tonneau pour y puiser la boisson ) y avaient également leur place, car il fallait bien boire une bolée de cidre de temps en temps…

 

Il y en avait ainsi pour environ cinq heures de route d'une destination à l'autre, soit à peu près seize kilomètres à parcourir - dont un peu plus d'un kilomètre de chemin de terre. Comme il était d'usage à cette époque, les voisins s'entraidaient : chacun participât avec sa charrette et son attelage de un ou deux chevaux, à acheminer tout ce barda. Et c'est ainsi que vos parents s'établirent au Terras à Beaulieu-sur-Oudon.

Votre mère vous emmenait tous les quatre en carriole

 

Dans les mêmes temps, vous vous souvenez très bien de la première ligne d'un article de journal que vous aviez réussie à déchiffrer. Vous aviez à peine six ans lorsque cette fois une revue vous étant tombée sous les yeux, vous avez cru comprendre ce que vous lisiez. C'est votre mère, présente, qui vous a dit " mais oui Jeannot - elle vous appelait souvent ainsi -, c'est bien ce que cela veut dire ". Elle en fut épatée et vous fûtes tout content et un peu fier de vous.

 

Tour à tour vos frères et soeurs prirent à votre suite le chemin de l'école. Mais, cette fois, pour aller au bourg de Beaulieu où elle se trouvait, il y avait trois kilomètres à parcourir dont un kilomètre deux cents de voyettes ou petites voies. Les voyettes étaient des passages étroits réservés dans les champs de divers exploitants qui autorisaient ce passage. On passait ainsi sur cinq propriétés différentes. Et pour marcher sur ces passages en terre battue en hiver, afin d'aller au bourg également le dimanche, il fallait une paire de sabots. Toute la famille déposait ces derniers dans la haie, près du dernier échalier (barrières fixes étroites ) puis elle enfilait des chaussures propres pour arriver au bourg…

 

Pendant la mauvaise saison, pour aller à l'école, vous deviez franchir un ruisseau qui pouvait atteindre plus de cinq mètres de large aux grandes crues. Pour ce faire, vous passiez sur une planche instable au bord de laquelle se trouvait un appui, une trique peu solidement fixée. Heureusement, malgré vos chaussures souvent trempées, il ne vous ai jamais arrivé d'accident fâcheux…

 
A travers toutes ces petites expériences de l'enfance, la vie s'écoulait et vous grandissiez
.

 Les années qui venaient n'étaient pas des meilleures, assurément moins bonnes que celles vécues il y a dix ans auparavant ; une crise mondiale s'abattait sur le monde d'alors. Dans ces temps-là, vous vous souvenez que beaucoup de mendiants erraient sur les routes et chemins. On les appelait des " trainiers ". Il n'était pas rare alors que vos parents en hébergent, après leur avoir donné à manger. Mais ils n'acceptaient pas de lit ; ils préféraient se coucher dans l'abat-foin ou dans la grange. Seule mesure de protection prise par vos parents : papiers et allumettes leur étaient confisqués pour la nuit. C'était la seule réserve… Et ils repartaient le lendemain matin, après s'être restaurés et avoir récupéré leurs maigres biens. Ces pauvres hères s'en allaient à nouveau de ferme en ferme afin de trouver plus loin un gîte et un couvert. Selon ces souvenirs, vos parents n'étaient ainsi pas bien riches, mais ils étaient charitables.

 

Vous décrivez votre père comme quelqu'un de bon bricoleur : il savait ferrer un cheval et donner des soins aux animaux. Vous l'avez vu enfoncer un jour un trocart dans la panse d'une vache parce que celle-ci avait mangé trop de fourrages verts au printemps ; cela l'avait gonflée. Un autre jour, il saigna un jument en lui faisant une entaille dans le cou parce qu'elle avait un coup de sang. Il lui retira ainsi un demi seau de sang, et l'animal repartit.

Votre père était aussi bon bricoleur. Il ne craignait pas de tuer le cochon et de le découper. Il plaçait ensuite les morceaux de lard dans le charnier afin de les conserver.

 

Il avait sûrement appris tous ces rudiments de la vie dans sa grande famille paternelle, afin d'aider à nourrir les plus jeunes de ses frères et soeurs. C'est ainsi qu'il était vis-à-vis de sa propre famille, adroit pour faire des soins et pour assurer les moyens de subsistance.

 

Dans vos souvenirs, Noël se déroulait en famille, et les enfants que vous étiez n'avaient que des objets utiles dans leurs sabots. Des jouets, il n' y en avait pas… Les seules gâteries se limitaient à des images d'Épinal et une orange. Vous mettiez d'ailleurs la peau de celle-ci dans votre mouchoir, que vous renifliez de temps en temps pour en retrouver plus longtemps le souvenir du goût.

 

Comme tous les jeunes, vous préfériez vous amuser, en faisant notamment des exercices physiques. Bien que non entraînés à ce type d'effort, votre frère et vous étiez passionnés de sport. Avec des moyens improvisés, vous aviez ainsi construit des échasses, et vous vous en serviez pour traverser les ruisseaux. Vous faisiez aussi du saut à la perche et vous aviez même monté un tremplin pour sauter encore plus haut… Vous pratiquiez également l'escalade dans les arbres en grimpant par le tronc et descendant grâce aux branches. René, plus aventureux, ne craignait pas de monter une jument sans rênes et avec un seul licol. Une fois, celle-ci passant sous un pommier dont les branches étaient trop basses, votre frère se retrouva au sol ; heureusement, sans gravité… Mais il aurait pu être blessé que vous en auriez ri.

Entre les bras de la batteuse tenus par des barres de fer rondes, vous faisiez de la barre fixe. Sauter à pieds joints sur une table ne vous faisait pas peur dans votre jeunesse.

 

Tandis que vous passiez les vacances scolaires chez vos parents, des camarades vous racontaient à l'école qu'ils étaient eux partis quelque part dans la famille, ou chez des amis. Ce n'était pas votre cas. Mais, il y avait moins heureux que vous aussi : d'autres enfants, moins bien lotis, étaient embauchés dans des fermes dès l'âge de neuf ou dix ans pour leur pain, le lavage et le couchage.

 
Malgré cette précarité que vous ressentiez, le parcours accidenté et autres aléas, le temps scolaire se déroulait normalement pour chacun de vous.

Vous, les garçons, aviez un instituteur d'âge mûr. Vous vous rappelez de la présence d'élèves un peu plus âgés que vous, qui faisaient le mur pour ne pas avoir à assister aux exercices qu'il prodiguait à la classe. Mais ceux-ci ne surent jamais lire ni écrire ou très peu…

Un autre maître lui succéda, mais ne resta qu'une seule année ; à la classe, il préférait embrasser sa femme et vous faire faire des concours de Yo-Yo ! Il prétendait que Gutenberg était né à (ou en) Mayenne et non à Mayence. Vous n'en reveniez pas.

Finalement, en 1933, un nouvel instituteur plus consciencieux et engagé réussit à vous faire avoir votre certificat d'études primaires ; c'était le mardi 18 juin 1935 à Cossé le Vivien, jour à marquer d'une pierre blanche. Votre frère lui poursuivit sa scolarité ; vous, vous l'arrêtâtes. quand votre mère fut décédée. Quant à vos soeurs, elles restèrent sur les bancs de l'école jusqu'à la fin du mois de mars de 1936 ; mais après cette date, elles subirent un autre sort, celui-là tout particulier… Les premiers temps difficiles allaient également se faire sentir pour vos proches et vous…

 

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